L’initiative de cette contribution à l’histoire du Royaume de Loango m’a été inspirée par des écrits dont la tendance consiste habituellement à déprécier, dénier et falsifier les réalités de l’histoire africaine. A cela s’ajoute surtout le fait qu’une certaine opinion ne reconnaît guère que l’Etat du Loango a existé en tant qu’entité autonome par rapport à son grand voisin le Kongo. Ceci est d’autant plus inadmissible qu’on ne saurait continuer à jouer le jeu des tenants de la suprématie blanche et de l’eurocentrisme qui, pour des motivations obscures, s’emploient à falsifier l’histoire de l’humanité, tout en reléguant l’Afrique et les peuples africains dans l’an historicités.

D’aucuns ne reconnaissent d’histoire à l’Afrique qu’à partir du contact avec l’Occident, c’est-à-dire quand celui-ci y introduit l’écriture. Face à cette ignoble imposture, nous avons le devoir de poursuivre la noble œuvre de réécriture de l’histoire africaine initiée par Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo, Théophile Obenga et bien d’autres. Le devoir de mémoire veut aussi que les plus faibles, qui se font écraser par les puissants de ce monde, fournissent leur version de l’histoire, car dit un proverbe africain : “Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront à glorifier le chasseur.”

Écrire une histoire est une chose, mais faudrait-il encore l’enseigner et la vulgariser, car le grand public n’a pas accès aux quelques rares ouvrages traitant de cette histoire authentique de l’Afrique. A cet effet, l’internet se révèle être un média essentiel ou du moins une alternative des plus appropriées.

Mbanza Kongo ou le foyer des origines :

Aux environs de 1275 (XIIIe siècle de notre ère) une population, bantu installée sur l’une des rives du puissant Nzadi “fleuve” situé au coeur de l’Afrique, parvient à bâtir l’un des plus grands États de l’histoire du monde noir. Ntinu Wene ou Nimi a Lukeni, héros fondateur et civilisateur du Kongo, érigea sa capitale sur un plateau dominant tout le pays. Cette cité fut nommée Mbanza Kongo dia Ntotila “cité du roi” ou Mbanza Kongo dia ntete “cité originelle” encore appelé N’kumba Ngudi “le nombril de la mère.” Le Kongo comptait neuf provinces dont trois se séparèrent très tôt pour s’ériger en royaumes indépendants : Ngoyo, Kakongo et Loango.

Le génie du peuple kongo, en tant qu’acteur principal de son destin, était tel qu’au cours de son évolution, cet État connu un développement socio-culturel, politique et économique des plus notables. N’en témoignent que ces écrits du chroniqueur allemand Léo Frobenius: “Plus au sud, dans le royaume du Congo, une foule grouillante, habillée de “soie” et de “velours”, de grands États bien ordonnés et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moelle des os!” Comme on peut le constater, le royaume de Kongo avait déjà atteint son apogée lorsque le navigateur portugais Diego Cão rentre en contact avec les Kongo en 1482. A cette date les européens ont la surprise de fouler le sol d’un peuple industrieux et dont le génie s’est illustré dans divers domaines tels que l’artisanat : tissage du velours de raphia, travail de l’ivoire, tannage de peaux, fabrication d’ustensiles en cuivre. L’extraction minière et le travail de la forge connaissent une avancée significative (1). Le commerce transfrontalier avec les Etats voisins, notamment le royaume de Makoko, est florissant. A cela s’ajoute un système monétaire soutenant les transactions commerciales.

Mais en dépit de cette dynamique de développement endogène, et peu avant l’arrivée des portugais, la croissance démographique perpétuelle du Kongo est telle qu’une frange de la population entreprend une aventure, en quête de nouvelles terres. Aussi des migrants kongo franchissent le majestueux Nzadi “fleuve” ou Kwangu (2). Une fois sur la rive gauche, ils mettent le cap en direction du Nord-Ouest, longeant ainsi le littoral Atlantique. Les Buvandji, forgerons conquérants à la tête des clans kongo, s’imposent par les armes dans la région de Loango vers la fin du XIVe ou le début du XVe siècle. “Leur installation se fait par la force et non par le droit, car la stricte matrilinéarité observée par les Vili leur interdit d’épouser une fille du clan des maîtres autochtones de la terre”(3). Selon Hagenbucher-Sacripanti, “des clans importants de Bawoyo (4) et de Bavili apparaissent sur la côte de Loango dès le XVIe siècle. Ils sont composés de forgerons groupés en une puissante confrérie, celle des Buvandji, appuyée sur un corps de guerriers entreprenants s’imposant aux populations locales (5).”

Le clan Buvandji est d’essence royale ceci est attesté, comme l’affirme A. Merlet : “par la nature de ses activités de forgeron. Le fer, apanage du roi, restera le symbole du pouvoir royal chez les peuples du Kongo, du Loango ou du sud-ouest du Gabon (6)”. Après s’être assuré de la conquête des terres, les 27 clans primordiaux groupés autour des guerriers Buvandji, s’engageront dans la création d’un État structuré et hiérarchisé, nommé Loango, avec à sa tête un monarque. Le vocable Loango découle de la racine ngo “léopard”. Loango se comprendrait alors comme “la terre du léopard”, animal dont la singulière férocité frappa les esprits. Ce redoutable félin, rencontré et combattu par les ancêtres kongo lors de leur migration, est naturellement devenu le symbole de la puissance, du pouvoir, et de la seigneurie. Étymologiquement [lwa-ngu] désigne la force dont le léopard est l’incarnation, la fonction, la dignité royale et le pouvoir au sens le plus complet du terme. Et par extension ce vocable est devenu le nom d’un État, dont la volonté affirmée du peuple bâtisseur voulait, puissant et fort.

Hagenbucher-Sacripanti (7) rapporte, selon la tradition orale, le mémorable récit de la migration ou exode des Kongo. Il convient de souligner que ce texte mythique a une valeur de reconstitution historique et non de témoignage précis et vérifié, mais des éléments assez troublants, relatifs à l’anthroponymie, la toponymie et l’hydronymie constituent, à plus d’un titre, des indices révélateurs quant aux péripéties ayant présidé à l’émergence de l’État de Loango.

Migration et fondation du royaume de Loango :

“Il y a fort longtemps une masse importante de Bayombe s’ébranla dans la région de Kongo dia Ntotila (ou Kongo dia Ntete), vraisemblablement pour trouver de nouvelles terres cultivables, sous la conduite d’un chef prestigieux nommé Bunzi qui devait être déifié après sa mort, et dont le sanctuaire se trouve à Moanda. Parvenu devant le grand Nzadi “fleuve”, obstacle redoutable, Bunzi aurait écartelé les eaux en se frappant la cuisse en haut de laquelle étaient attachés de nombreux talismans (mati, sing, buti) et traversé le lit du fleuve, suivi de la population qu’il guidait.

Peu après intervint la première divergence stratégique parmi les émigrants qui se scindèrent en deux groupes : ceux qui devinrent plus tard les Batéké décidèrent de suivre le cours du fleuve et de s’enfoncer à l’intérieur, vers le Nord-Est, tandis que ceux que l’on appela les Bavili, beaucoup moins nombreux, décidèrent néanmoins de continuer leur route et de forcer le destin malgré leur petit nombre (le nom Vili viendrait de kuvilakana: “s’en sortir”). “Nous nous en sortirons” auraient-ils lancé comme par défi à l’endroit des autres membres qui leur reprochaient cette séparation et surtout le fait de poursuivre l’aventure sans le gros du groupe.

En mémoire de cette séparation, le nom du lieu devint Cabinda découlant de kukabuka “se séparer”. Landanaanu ! Suivez-vous les uns les autres leur dit Bunzi, et ils arrivèrent ainsi, en longues files, dans un lieu qu’ils nommèrent Landana (du verbe kulandana), puis s’écartant légèrement de leur itinéraire, ils s’établirent en un endroit qu’ils appelèrent Mpita (du verbe kuvita “marquer un arrêt”, “bifurquer”) et y restèrent quelques années. S’étant remis en route (sous la conduite d’un guide dont on ignore le nom ; il n’est plus question de Bunzi à partir de cet endroit), ils décidèrent de se fixer définitivement en un lieu qu’ils appelèrent N’banda (du verbe kubanda “fixer”, “enfoncer”).

Les années passèrent, le pouvoir se hiérarchisa, une caste dirigeante héréditaire s’érigea, une noblesse apparut qui résida en un lieu particulier qui reçut le nom de Siafumu “pays des princes.”

Deux pêcheurs quittèrent un jour N’banda de leur propre chef, et marchèrent le long de la côte qu’ils étaient curieux de découvrir. Ils firent halte sur une plage qui porte aujourd’hui le nom de N’bu Tchibeta depuis laquelle ils pêchèrent de nombreux poissons dont ils fumèrent et emportèrent la moitié sur le chemin de retour, abandonnant le reste. Ils firent part au roi de leur découverte et de nombreuses personnes les suivirent lorsqu’ils retournèrent dans cet endroit privilégié, pour y fonder un village auquel le roi donna le nom de Bwali “deux” en souvenir des deux pêcheurs qui en firent la découverte.

Encouragé par cet événement, le roi envoya des émissaires le long de la côte avec mission d’aller aussi loin vers le Nord qu’ils le pourraient.

Après avoir marché plusieurs jours, les explorateurs furent arrêtés par la largeur et le débit d’un cours d’eau. Ils s’en retournèrent vers leur chef auquel ils rapportèrent leur découverte: “mwila wakwilakana…” “le fleuve s’étend au loin…” De cette expression, le nom du fleuve devint naturellement Kwilu.

Le roi déclara qu’il se rendrait sur place, mais y envoya d’abord une partie de la population qui reçut l’ordre d’émigrer et de s’installer sur la rive droite de ce cours d’eau…

Les plus robustes tentèrent donc de traverser à la nage au moyen d’une corde joignant les deux rives. Ce moyen de passage (qui porte le nom de nsonzi) s’avéra trop lent et l’on construisit un radeau sur lequel on fit traverser femmes, enfants, chiens et paquets. Un grand nombre de clans se rendirent ainsi sur la rive droite du cours d’eau, où le roi les rejoignit afin de juger de l’opportunité du choix de leur lieu d’installation. Son arrivée fut marquée par une grande fête, au cours de laquelle le samba “boisson de palme” coula généreusement, les danseurs se dépensèrent autour des feux, les nganga “devins et magiciens” torses et visages colorés d’ocre et de kaolin, agitant leurs bikunda “grelots en bois” invoquèrent les bakulu “mânes des ancêtres”, supplièrent les bakisi basi “génies” de favoriser cette nouvelle installation…

A l’aube, le roi étendit les bras et fit faire silence : devant le peuple, il parla des péripéties du voyage et de la traversée du fleuve dont la largeur l’avait fort impressionné et auquel il attribua, reprenant l’exclamation du premier messager qui lui avait fait part de cette découverte, un nom qui devait lui rester : Kwilu (de kukwilakana “ s’étendre”). Puis il demanda s’il n’y avait pas eu d’accidents ni de retards, enfin si tous étaient là : lwalunge ? “êtes-vous au complet ? S’enquit-il d’une voix forte, et la foule acquiesça ensemble: éééh! twalunga ! “Oui! Nous sommes tous là !” De ce cri du peuple naquit aussitôt le nom de Tchilunga attribué à cet endroit qui devait plus tard prospérer, recevoir l’apport de nouveaux et nombreux clans, pour enfin devenir l’une des plus riches provinces du royaume de Loango.

Puis le roi se fit présenter le dénommé Loemba qui avait soutenu les danseurs en battant le ngoma “tambour”, le félicita pour son énergie et sa dextérité, lui annonça que son clan s’appellerait dès lors, Ngoma Tchilunga et la région Tchilunga Loemba. Cet échange de particule constituait l’attribution d’un titre de noblesse locale et devait rappeler à tous que, par le jeu de Loemba, le peuple s’était réuni et avait dansé, pour la première fois sur la terre de Tchilunga. Cependant certains parents de Loemba ne furent nullement satisfaits de l’attribution de cette nouvelle charge, car ils pressentirent l’obligation qui serait faite à un membre du clan de battre le ngoma en toute circonstance officielle… office honorable, mais combien exténuant ! Ces mécontents s’enfuirent, courbés, se dissimulant dans les fourrés. Ils fondèrent plus loin un autre clan qui reçut le nom de Bamandu, mais gardèrent le même n’vila “totem” “emblème”, à savoir le lubuku, sorte d’écureuil à la fourrure tachée de roux. Le clan Ngoma Tchilunga s’était, en effet, vu attribuer cet emblème, car le fait de jouer du ngoma rend les fesses rouges (on est assis sur la caisse du tambour) ainsi que les mains et pieds puisqu’on en bat la mesure…

Dès l’apparition du soleil, le roi ordonna à quelques hommes de s’embarquer en pirogue et de remonter le cours du Kwilu aussi loin qu’ils le pourraient, sous le commandement de son frère aîné Makaya Ndjimbi…

Les voyageurs arrivèrent un jour à l’embouchure d’un affluent du Kwilu dont l’accès se révéla très difficile en raison de tchivemba “hautes herbes” qu’ils durent couper à mesure qu’ils avançaient, en les retournant préalablement avec la pagaie pour les écarter. Ils se plaignaient de ce dur travail en maugréant : ntombu lyambu “cela va créer des ennuis!” car tous craignaient d’être blâmés par le roi du retard qu’ils prenaient au cours de cette pénible avance. C’est alors qu’ils s’unirent en un seul clan qui reçut le nom de bayali bayala tchivemba “les gens qui ont retourné le tchivemba, et qu’ils appelèrent la rivière N’tombo avant de rejoindre le Kwilu à Mfilu. Makaya Ndjimbi planta un baobab à Tuba et à Ngoto en signe de passage.

Ils arrivèrent enfin à l’embouchure de la Lukulu, puis en un endroit où ils décidèrent de s’installer, qu’ils appelèrent Nkaka Mweka “un seul ancêtre” rappelant leur communauté d’origine avec ceux qui étaient restés sur la côte.

Le courant d’émigration qui opta pour une route longeant la côte subit depuis Landana plusieurs morcellements :

Un groupe d’émigrants remonta vers Loubomo (actuelle Dolisie). Ils y plantèrent un baobab qu’ils appelèrent n’kondu tchilima tchilima “baobab éternel” et donnèrent naissance au peuple Kuni. Les autres s’installèrent à Mbanda et Nkotavindou (ceux-ci devinrent des Lumbu), mais beaucoup d’entre eux s’aventurèrent beaucoup plus au Nord suivant la côte et se dispersèrent entre Tchilunga, Nzambi et Mayumba.

D’emblée on notera que la trame de ce récit et les noms des lieux jonchant l’itinéraire suivi par les Kongo de Loango sont d’autant plus vraisemblables qu’on ne peut que difficilement s’y montrer dubitatif, quant à sa cohérence et sa crédibilité. On est cependant édifié sur les origines communes de toutes les forces vives du Loango, à savoir les Yombe, Lumbu, Kuni et Vili dont l’unité culturelle n’est plus à établir. A cela s’ajoute les liens génétiques existant entre le peuple de Loango et ceux des États de Ngoyo et Kakongo.

Mais on ne perdra pas de vue que ce récit relève du mythe, donc serait issu de l’imaginaire populaire ce qui pourrait lui ôter toute crédibilité. En tout état de cause, il y a lieu de noter que le mythe et l’histoire s’imbriquent au point où il s’opère une certaine osmose entre les deux genres. En fait, il existe une part de l’histoire dans le mythe et vice versa. L’histoire ne se compose pas que des faits et d’événements pouvant faire l’objet d’une vérification quasi scientifique. Elle est aussi formée des relations qui lient ces faits et ces événements, et de l’interprétation, souvent imaginative, de ces relations. Dans n’importe quel acte d’interprétation, un élément de mythe intervient nécessairement. Ainsi, le mythe n’est pas distinct de l’histoire. Au contraire, il en est inséparable.

Fondation de Bwali

Ce vaillant guerrier kongo est à l’image de ceux qui composèrent le puissant corps de guerriers des conquérants Buvandji.

Ce vaillant guerrier kongo est à l’image de ceux qui composèrent le puissant corps de guerriers des conquérants Buvandji.

Après ces entrefaites le roi revint à Bwali, dont il va se charger de poser les fondations et la construction afin de l’ériger comme capital de l’État. La cité était batie sur un site remarquablement pittoresque. En effet, Bwali se trouvait à portée du regard de l’océan Atlantique (8)– offrant ainsi une vue à la fois panoramique et imprenable à cette direction. Ceci était ponctué par la présence des gorges de N’bunga, brusque et extraordinaire dépression géologique, des entrailles de laquelle s’élancent des saillies ocrées surplombant les frondaisons et rehaussant ainsi d’une beauté on peut plus féerique. Ces impressionnantes et enchanteresses gorges couvrant la partie Ouest et s’ouvrant sur l’océan ainsi que les prairies environnantes formaient un paysage reluisant. Tout ceci étant agrémenté par le superbe coucher de soleil du côté de l’océan, avec son disque rougeoyant semblant s’enfouir dans les flots. Merveilleux spectacle qu’on pouvait contempler de cette cité. Les sites côtiers de Tchibeta et Matombi, à quelques encablures de Bwali, offrant des plages au sable fin et d’une blancheur immaculée.

Bwali la majestueuse faisait partie intégrante de la province de Mpili située sur la rive droite du fleuve Kwilu. Cette province était environnée au delà du fleuve, au Nord-Ouest par la province de Tchilunga, au Sud-Ouest par celle de Loandjili, à l’Est par la province de Nga Kanu ou Tchikanu, au Nord est par celle de Makangu, la province de Mayombe à l’Est couvrait un massif montagneux du même nom, enfin, la province de Mankugni (également connu sous le nom de Dyangala), au flanc Est du Mayombe, s’étendait sur une partie de la vallée du Niari.

Bwali était une cité aux grandes dimensions et à la population considérable, ce qui pousse Dapper, au XVIIe siècle à la comparer à Amsterdam. Elle avait de grandes rues et d’autres transversales que les habitants prenaient grand soin de tenir dans un état salubre. Les maisons de forme rectangulaire étaient disjointes. Il y avait devant les habitations de grandes allées bordées de palmiers et manguiers. A l’arrière des habitations, on y trouvait des bananiers et palmiers cotoyant des enclos à bétails ou des poulaillers. Comme ornement, les concessions étaient enceintes de haies vives d’hibiscus, de citronnelle et de lantanas dont le parfum exquis embaumait l’air.

Au milieu de la cité se trouvait une grande place proche du tchinganga-mvumba “palais royal”. Celui-ci était environné d’une vaste palissade de palmes compactées formant un carré. On y voyait un grand nombre de maisons où étaient logées les innombrables épouses du roi. Les maisons de Bwali étaient longues, construites en planches éclatées quand elles ne l’étaient pas en maanga “espèce de palmes agglomérées ou compactées. Les toits, à deux versants perpendiculaires, étaient en nkuunza “ espèce de palme aquatique”.

Au Moyen Âge, Bwali est une cité en plein essor, entretenant un commerce florissant avec le royaume Anzico de Makoko, situé plus à l’est au delà de la vallée du Niari. Des caravanes partaient de Bwali, avec des produits de la côte, par Bokosongho et Mindouli, en passant par le pays Bembé, y exploiter le minerai de fer et de cuivre. Les relations entre les deux Etats étaient empreintes d’une telle concorde que le peuple de Loango et les Batéké se réclamèrent d’une ascendance commune : Ngunu (9). En fait celle-ci fut l’une des plus importantes divinités du panthéon Téké. Ceci ne veut pas dire que le peuple de Loango souffrait d’un manque de déité. Bunzi, par exemple pour ne citer que lui, jouissait d’une vénération particulière du fait de sa puissance et de l’importance de sa position dans la hiérarchie divine. Aussi, occupait-il une place de choix dans la configuration cosmogonique de ce peuple. Ce fait, pour le moins historique, est illustré par une célèbre expression dans laquelle transparaît une volonté affirmée des deux États de vivre dans la concorde et la paix.

Muteke ngunu, muvili ngunu, kifumba kimosi. “Le Teke ngunu, le Vili ngunu, un seul et même clan.”

On ne soulignera jamais assez que ce cas de figure est d’une portée socio-anthropologique et politique remarquable, d’autant que la revendication d’une commune ascendance mythique par ces deux peuples, traduit non seulement une transcendance délibérée de la différence, mais aussi participe d’une symbolique osmose ou fusion identitaire consistant à affermir de manière conséquente les relations bilatérales. On comprendra dès lors pourquoi il n’y ait jamais eu de faille dans le fondement diplomatique entre les deux Etats. Des tempêtes s’étaient certainement levées, mais n’avaient pu ébranler ni avoir raison d’une amitié scellée sur le rocher sacré de Ngunu.

Le Loango, ainsi constitué, se présentait comme un État pluri-ethnique. Des ethnies reparties sur l’ensemble des sept provinces, dont chacune était sous l’autorité d’un gouverneur. Pour rendre plus manifeste l’intégrité territoriale et l’intangibilité de cet État, on édicta une devise :

likaanda likooku lisiimba mbota sambwaali. “La paume de la main qui tient sept étoiles” ou “la main aux sept étoiles.”(10)

L’influence du royaume de Loango s’étendait du Cabinda au Sud jusqu’au delà de Mayumba au Gabon. Elle impliquait également le versant Est de la chaîne du Mayombe dont une infime partie de la vallée du Niari. Par conséquent, au sein de cet État, étaient regroupées diverses ethnies aux affinités culturelles et linguistiques manifestes. Il convient de noter que les Yombé, Lumbu, Kugni et Vili constituaient l’ensemble des forces vives de l’État de Loango. Se réclamant d’une ascendance commune Nkakamoeka “seul et même ancêtre” – nom d’un village du Mayombe. Une constante des valeurs morales était fondée sur la cohésion sociale. Dans cette énumération ethnique, on ne saurait omettre les Bongo “pygmées”, peuple autochtone auquel les conquérants et/ou migrants Kongo dépossédèrent de leurs terres et qui finirent par trouver un havre au coeur de la forêt du Mayombe.

Notons cependant que les Bongo, autochtones de la terre du léopard, joueront un rôle politique éminemment décisif dans l’émergence de la seconde dynastie de l’Etat de Loango, comme on le verra plus loin.

Organisation du pouvoir politique :

A la tête de l’État de Loango il y a le fumu “roi” Mâloango issu de l’une des deux branches Kondi et Nkata composantes de la vague conquérante des Buvandji. Pendant les sept premières années de son règne, le souverain porte le titre de Ngaanga Mvuumba “le devin qui couve”; comparé à l’oiseau couvant précautionneusement ses œufs. En effet, il est celui dont la puissance et la sollicitude s’étendent au loin et recouvrent tout le royaume. Après la dynastie des Buvandji, caractérisée par une royauté héréditaire et absolutiste, le pouvoir devint électif.

La gestion des affaires de l’Etat était cependant du ressort d’un gouvernement dont le Mamboma Tchiloangu est le premier dignitaire. Le roi offre solennellement à tous les membres du gouverment un signe distinctif de leurs attributions, un nguundu “chapeau en fil d’ananas comportant quatre pompons”.

– le Mamboma Tchiloangu, en tant que Premier Ministre, assure entre autres l’interrègne après la disparition du roi. Il joue un rôle prépondérant sur l’échiquier politique, car il est le véritable pilier des institutions. Pour ce faire, il apparaît comme la pierre angulaire de l’État.

– Le Mafuka, ayant en charge le commerce, surveille et dirige la traite sur les produits d’importation et d’exportation, desquels il prélève un droit dont un certain montant, en fonction de l’importance des échanges effectués, doit être versé au roi.

– Le Masafi est en charge de l’économie et des finances. Il assure la trésorerie royale. Il reçoit, détient les biens destinés au roi et en dresse l’inventaire.

– Le Mambeli, comme son nom l’indique, possède un couteau en cuivre, insigne de sa charge : la justice. En effet, il fait convoquer les justiciables et rend la justice.

– Le Matchiyendji, en charge des douanes, surveille les tarifs, règle certains litiges inhérents au négoce. Il repère les produits dont l’importance nécessite l’imposition d’une taxe.

– Le Mankaka est en charge de la défense de l’Etat et dirige la livita “guerre.” Le Loango ne disposant pas d’armée regulière et permanente, sur ordre du roi, il assure la logistique militaire, lève des contingents dans chaque province et les mène au combat. Les armes les plus courantes sont : lyoonga “la sagaie”, “la lance” ou “la pique”, mbeeli “le coutelas” , “le poignard” et mpita mbawu “l’arc.”

– Le N’bindika Lwangu “Verrou de Loango” est une sorte de Ministre de l’intérieur, chargé de veiller sur la sécurité de l’Etat et l’intégrité territoriale.

– Le Makimba est en charge des eaux et forêts, régulant et inspectant les activités de pêche et de chasse. Il s’occupe également des questions relatives à la gestion des terres, en vue de l’exploitation agricole.

– Le Mangofu est le Ministre des affaires étrangères. Les bonnes relations avec les Etats d’Anzico, Kakongo, Ngoyo et autres relevaient de sa compétence.

– Mamputu est le Ministre de la culture et des arts. Il est entre autres chargé des questions religieuses. Il veille à la régularité du culte rendu aux bakisi basi “divinités” dans des bibila “sanctuaires”. Il veille également à la propreté et au respect de ces cathédrales tropicales, lieux sacrés par excellence, encore appelés “bois sacrés.”

– Ngala Mbembu ou Konga Makanda “rassembleur des clans”, est le représentant des fumu kanda “chefs de clans” et fumu si “gouverneurs” auprès du roi. Comme on peut le constater, son rôle est prépondérant dans le maintien de l’unité, la concorde et la cohésion au sien de la communauté. Il est aussi l’oeil et l’oreille de ce dernier, car il est investi de la mission de renseigner le souverain sur toute information sensible concernant sa personne.

– Mambanza est l’intendant du roi. Il veille au bien-être, à la sécurité matérielle du souverain ainsi que de celle des épouses de celui-ci. Il assure également l’organisation et la direction des travaux champêtres dont les produits servent à l’approvisionnement du palais royal.

Élection du roi :

D’emblée, il sied noter qu’au départ le Loango était constitué de 27 clans primordiaux kongo, au sein desquels l’une des branches conquérantes, les Buvandji notamment, jouissait d’une primauté politique absolue tant le pouvoir était dynastique, donc héréditaire. La gestion du pouvoir par les “rois-forgerons” était cependant entachée de flagrantes irrégularités. En effet, lors de leur succession à la tête de l’État, ils se rendirent coupables d’abus de pouvoir et de nombre de déprédations, ce qui eut pour effet de plonger le Loango dans une crise politique et institutionnelle. Bien évidemment, ceci nécessitera une réforme structurelle et politique. C’est ainsi qu’après le règne dynastique des Buvandji, survenu vers la fin du XVe siècle, le Loango tentera l’expérience du pouvoir électif, par lequel on reconnaissait à tous les membres de la nouvelle dynastie, issue de N’nombo Sinda, le droit de briguer le trône.

Mais avant la mise en place de ce mécanisme, un grand conseil d’État, regroupant les fumu si “gouverneurs” des sept provinces du Loango et autres notables, fut tenu à Bwali. De ce conseil il en résulta que le royaume se trouvait devant la nécessité de recourir à une descendance de sang neutre pour le ntaandji “trône”. Il fallait en conséquence abréger la longue période de vacance du pouvoir observée depuis la mort du neuvième roi de la dynastie Buvandji. Pour ce faire, il fut impératif de trouver une personne n’ayant aucun lien de sang avec la dynastie tombée en disgrâce. Mais avant que cette alternative, à la fois radicale et novatrice, ne soit traduite dans les faits, il fallait au préalablement procéder à l’instauration d’une période de transition. D’où l’impérieuse nécessité de trouver un homme non seulement digne de la fonction, mais qui devait être à l’abri de toute controverse. A cet effet, ils parvinrent à effectuer un choix judicieux et un Mamboma Tchiloango fut nommé pour assurer l’interrègne.

A l’issue des pourparlers ardus, les biva bi Lwangu (11) “notables” des 27 clans primodiaux parvinrent à une solution négociée, laquelle fut adoptée à l’unanimité. Celle-ci consistait à envoyer des émissaires au cibila “sanctuaire” de la divinité Bunzi à Banana, non loin de l’actuelle Moanda, dans l’État de Ngoyo. Banana était le siège par excellence de l’autorité spirituelle, car Bunzi était considéré comme la divinité suprême du panthéon Yombé, Kugni, Vili et autres. Cette visite consistait en une consultation du Tchitomi tchi Bunzi “prêtre de Bunzi” sur le moyen de décrisper la crise politique au Loango. C’est ainsi que ce dernier ordonna qu’on lui amenât “quelqu’un de sacré.” Bien évidemment, les fumu si du Loango furent dans une grande perplexité devant le caractère ambigu et lapidaire de cette recommandation. Ceci était manifestement un défi qu’il fallait relever tant leur capacité au discernement était mise à l’épreuve. Ils comprirent que pour sauver le trône de Loango une solution douloureuse s’imposait : trouver une fille vierge n’étant ni d’ascendance dynastique ni d’affiliation à l’un des 27 clans Kongo. Donc une personne quasi étrangère au royaume. Aussi suite à une longue délibération, décidèrent-ils d’acquérir à l’intérieur du pays, au delà du Mayombe, une fille pygmée pubère.

Dans la perspective du voyage qu’elle allait entreprendre au tchibila tchi Bunzi (12) – foyer de l’autorité politique et religieuse – des ngaanga lui dotèrent de protections contre le mauvais sort et les puissances maléfiques. Cette enfant, que l’on nomma N’nombo Sinda, fut élevée par le Tchitomi tchi Bunzi et devint enceinte de lui. Elle fut alors ramenée par mer et débarqua non loin de Bwali, en un endroit qui reçut de cet événement le nom éponyme de Sinda.

N’nombo Sinda donna naissance à une fille dénommée Mwe Ntumba. Mais étant donné la légitime aspiration du peuple de Loango de voir un roi d’ascendance neutre sur le trône, N’nombo Sinda fut mariée et de cette union naquit enfin un fils nommé Mwe Mpwati (13), qui devait être le premier souverain de la nouvelle dynastie, ainsi que de nombreux autres enfants mâles de ce couple providentiel. De ce fait combien impérieux et salvateur, et en dépit de ses origines, N’nombo Sinda, auréolée de prestige, devint l’ancêtre d’une nouvelle lignée de futurs prétendants au ntaandji “trône” de Loango. Notons en passant qu’en dépit du système matrilinéaire en vigueur auprès du peuple de Loango, le trône était exclusivement l’apanage des hommes. Aussi, les enfants mâles de Mwe Ntumba, fille aînée de N’nombo Sinda, avaient également le droit de briguer le trône.

Cette situation aura une incidence avérée sur le plan politique, notamment dans la conquête du trône. Ceci s’explique par le fait qu’une rude rivalité politique (entre frères consanguins d’une part et neveux d’autre part) (14) se fera jour au sein de Kondi li Loangu “Kondi du pouvoir”, le clan issu de N’nombo Sinda. Ce qui entraînera ipso facto, une scission (15) au sein de cette nouvelle dynastie en deux principaux clans princiers : Kondi la branche aînée et Nkata la branche cadette. Aussi, les biva bi Lwangu des 27 clans primordiaux se poseront en arbitres des rivalités, s’arrogeant ainsi le droit d’élire et de déposer le monarque. Ils mettront également en place une série de mesures visant à limiter les pouvoirs de ce dernier.

En effet, les fumu “chefs et représentants” des 27 clans primordiaux Kongo, disséminés à travers tout le royaume, joueront le rôle décisif d’arbitre électoral. Dans le souci de la bonne gestion de l’État ce collège arbitral appelé fuundu tchibokuta se montrera particulièrement attentif à l’action politique menée par l’exécutif. Le fuundu tchibokuta en tant qu’assemblée des clans primordiaux kongo était par conséquent représentatif de la voix du peuple. Et cette assemblée était dotée d’un pouvoir tel que le souverain devait faire preuve non seulement de clairvoyance et de diligence, mais aussi d’intégrité et de probité dans la conduite des affaires de l’État. Des mesures singulières sont mises en place en vue de brider toute velléité du monarque d’ériger un pouvoir absolutiste. C’est ainsi qu’au cas où des irrégularités avérées avaient été constatées, le Maloango devait, en conséquence, être démis de ses fonctions et sa succession assurée par un autre souverain, des suites d’une élection en bonne et due forme. En effet, cette élection devait impérativement se dérouler selon les régles de l’art parce qu’elle allait faire l’objet d’une approbation par le Tchitomi tchi Bunzi, après consultation de la divinité suprême Bunzi à Moanda, non loin de Boma (Etat de Ngoyo dans l’actuel Congo-Kinshasa).

Par le biais d’un Maloango sur le trône on visait la pérennisation du pouvoir, la stabilité de l’État et surtout la bonne gestion des affaires. En effet, en tant que ultime garant de l’ordre, le roi est moins le dépositaire de la force physique contraignante ou prêtre d’un culte de la force, qu’un régulateur social dont la fonction principale est de maintenir la sécurité et la prospérité du pays en envoyant des offrandes au sanctuaire de Bunzi, vers lequel se dirige, lors de tout événement politique d’importance ou de calamité naturelle, une caravane porteuse d’offrandes et de présents rituels. Sa réputation de clairvoyance et son prestige dépendent directement de l’opportunité des initiatives par lesquelles le roi sollicite les personnages susceptibles de conseiller et d’apaiser les forces néfastes qui affectent une région ou la totalité du royaume. Cependant sa qualité de fumu “prince” lui interdit de pénétrer dans un sanctuaire et d’exercer une véritable fonction religieuse.

Le sacre du roi :

En vue de l’accession du Ngaanga Mvumba au trône une cérémonie officielle et solennelle était organisée. Le lubyalulu “sacre” ou “intronisation” du roi se déroulait devant un sanctuaire situé non loin de la Tchinganga Mvumba “résidence royale.” La cérémonie avait lieu en présence du Tchitomi tchi Bunzi venu de Moanda, des fumu si de Bwali, de toutes les provinces ainsi que de nombreux prètres officiants des bibila. Il n’était cependant pas rare, pour beaucoup plus de solennité, qu’on sorte des masques de rois défunts.

Les têtes sont couronnées de feuilles de mabumbulu (plante rampante), des sidembademba (guirlandes de fibres de palmier) sont attachées autour du cou et du tronc de chaque personne. Entouré des siens, le futur roi apparaît, installé dans une cipoye (chaise à porteur) dont il descend pour s’asseoir devant l’assistance, sur une nkwala “natte” appelée pour la circonstance nganda yangu, à l’intérieur d’un cercle tracé au kaolin. Le Mamboma Tchiloangu se lève et présente, au cours d’un long discours, les raisons et les circonstances qui ont déterminé les biva bi Lwangu des vingt-sept clans Kongo à porter leur choix sur la personne qu’on s’apprêtait à introniser. Retraçant dans un style dilatoire et conciliant, les oppositions d’intérêt et d’opinion qui avaient animé le fuundu tchibokuta, il invite tous les notables à s’unir autour du nouveau Ngaanga Mvumba. Le Tchitomi Tchi Bunzi prend la parole pour exprimer sa satisfaction de voir s’achever l’interrègne dont la longueur pouvait irriter les divinités et annonce qu’il partira dès le lendemain pour Moanda, afin de consulter Bunzi sur l’opportunité de ce choix. Au soir de ce jour le nouveau roi et ses proches devaient s’installer à Tchiganga Mvumba, sous une demeure provisoire, en attendant la construction, d’une résidence royale digne de ce nom.

Dès le retour du Tchitomi Tchi Bunzi, il énonce devant des notables, des dignitaires, des fumu si et chefs de clan, réunis sur son ordre par le Mamboma Tchiloangu, la nature et le montant des exigences formulées par Bunzi pour la constitution du nteta Bunzi “panier de Bunzi” :

– deux mabondu “escabeaux à un pied, taillés des racines de palétuviers”;

– une tchidoyi tchi mpundji “défense d’éléphant” ;

– tchimbundi tchi libundi “rouleau de tissu bleu foncé”;

– tchimbundi tchi likenda “rouleau de tissu bleu blanc”;

– neuf peaux de tchikanda “petit lémurien” ;

– plumes de ndjelendji “hirondelle hérissée” ;

– neuf peaux de bisimu “animal non identifié” ;

– deux mpengu “cannes taillées et sculptées dans une racine de palétuviers ;

– un enfant pygmée, sachant dejà marcher et capable d’effectuer le trajet à pied jusqu’à Moanda.

Après que le nteta Bunzi a été constitué, le Tchitomi Tchi Bunzi s’en retoune vers le sanctuaire de Moanda, escorté de deux esclaves portant le nteta Bunzi. Il revient à Bwali peu de temps avant l’intronisation, à laquelle assistent les gouverneurs de provinces, des délégations de fumu si. Cet ensemble de notables, constituant le N’binduku lwangu “clef ou verrou du pouvoir” était porteuse d’offrandes rituelles (noix de cola, gingembre, poivre, flambeau de résine, etc.) enveloppées dans des peaux de tchikanda “petit lémurien.” Des habitants de diverses localités arrivent également dans la capitale pour assister au sacre du Ngaanga mvumba.

Assis sur le libondu li ntandji “trône”, habillé de tissu foncé libundi le roi est coiffé d’un nguundu “calotte à quatre pompons” fourni par le Tchitomi Tchi Bunzi, auquel sont accrochés des fragments des peaux d’animaux envoyées à Moanda. Une peau de léopard est nouée autour de ses reins. Ses épaules sont recouvertes d’un surplis de raphia. Entouré par la foule silencieuse, il se maquille avec du nguunzi “ocre” et du mpeesu “kaolin” contenus dans un petit récipient de raphia. Les motifs dont il se couvre le corps sont dessinés en une double ligne blanche et rouge tracée avec les deux produits ; un trait joint le milieu du front au bas du nez. Le dessin des fentes palpébrales est accentué et prolongé jusqu’au milieu des tempes. Commençant sur les deux majeurs, deux bandes de couleur remontent le long des bras, des épaules, et redescendent entre les pectoraux pour se rejoindre sur le sternum et former une ligne verticale terminée par un cercle entourant le nombril. La nuque et les épaules sont également jointes par une trace bicolore, de même que genoux, tibias et orteils… Puis il entoure sa taille d’une ceinture de tissu bleu, à laquelle sont accrochés dix-huit grelots de cuivre.

Dans un ton solennel le Mamboma Tchiloangu déclame un discours de circonstance dont la teneur consiste en la prééminence de Bouali sur l’ensemble du royaume, de l’équilibre constitutionnel, de la puissance du roi… Tout au long du discours, l’auditoire bat des mains en cadence, dans un cliquetis de bracelets, un rythme syncopé, lent et monotone. Ce qui est une marque d’allégeance et de respect : deux coups brefs séparés de deux autres battements par un intervalle de deux secondes et ainsi de suite. En arrière fond sonore, résonnent sur un rythme rapide la longue caisse du nduungu “tambour” et l’armature métallique du ngoondji “clochette double”.

Tenant dans sa main droite la buta matali (canne sculptée), le Mamboma Tchiloangu en touche alternativement chaque épaule du roi ; reculant d’un pas après chacun de ces gestes, il avance de la même distance accomplissant le suivant… Maintenant sur sa tête une marmite d’argile dans laquelle se consument des excréments séchés et des morceaux de tissu. Un chef du clan Tchimpwatufi longe le cercle formé par la foule et tourne autour du roi, tandis qu’une fumée acre se répand sur l’assistance. Ce rite consiste à inculquer au roi la vertu de la modestie et à lui faire comprendre, en ce moment solennel de sa consécration, qu’aussi puissant soit-il, un monarque ne saurait être au dessus des lois et à l’abri de la déchéance. La fumée était à la fois le symbole de la renommée du souverain et de la propagation de la nouvelle cet important événement à travers tout le royaume.

D’une voix forte le Tchitomi Tchi Bunzi rappelle les obligations et interdits qui péseront sur le nouveau souverain. Et à la demande du Mamboma Tchiloangu, le roi révèle le surnom de circonstance qu’il s’est choisi. Aussitôt, le Mamboma Tchiloangu et les fumu des 27 clans kongo enlèvent les rameaux de palmier qui leur recouvrent le visage et la poitrine, pour les attacher successivement sur le corps du Ngaanga Mvumba, à l’adresse duquel le maître de cérémonie crie soudain: sangobu! “bondis! Montre ton énergie!” Tandis que le nduungu “tambour”, le ngoondji “clochette double” et le mbudi “trompe d’ivoire” résonnent, le roi se lève et se livre à une longue série de bonds et de culbutes, rythmés par le tintement des grelots et l’ample mouvement des palmes qui le recouvrent.

Notons que pendant les sept premières années de son règne – période probatoire – le roi porte le nom de Ngaanga Mvumba “devin qui couve” et il ne peut acquérir le titre de Maloangu “détenteur du pouvoir” qu’au terme d’un voyage à travers les sept provinces, au cours duquel il doit être agréé par les bitomi “prêtres” les plus puissants et triompher des nombreuses épreuves témoignant de ses capacités physiques et morales.

Destitution du roi :

Dans le cadre de la gestion des affaires de l’État, le monarque était tenu de conduire une politique fondée sur des bases saines – garantissant la concorde, la cohésion, l’unité et la justice sociales. Il devait se garder de porter atteinte aux droits et aspirations légitimes du peuple souverain. En cas de manquement à ces principes sa destitution s’avérait inéluctable. C’est ainsi que escorté par les fumu “chefs” des clans kongo, le ngala mbeembu, “porte-parole officiel”, expose au roi les décisions prises à l’issue du fuundu tchibokuta (assemblée habitée par le culte du consensus), avertit celui-ci, s’il y a lieu, de sa défaveur et de la nécessité d’abandonner le pouvoir ; les raisons de sa révocation sont publiquement exposées au roi qui doit écouter la liste complète des griefs nourris à son encontre et résultant d’un mécontentement populaire.

A la nuit tombante, dirigée par le ngala mbeembu, une petite troupe de jeunes gens, dont chacun ne porte pour tout vêtement que le tchibati (cache-sexe porté par les guerriers), entourent silencieusement la demeure royale, en se dissimulant dans les bosquets avoisinants. Pendant que le nduungu “tambour” retentit, le ngala mbeembu s’adressant au roi clame le mécontentement populaire dans une longue et mordante péroraison à la fin de laquelle tous les membres de la troupe se livrent à un chahut effréné, entrechoquant divers objets imitant des cris d’animaux, criant insultes et moqueries à l’adresse du monarque; auquel ils lancent même quelques fruits pourris.

Si le roi déposé tente quelques manœuvres dilatoires pour conserver le pouvoir, le ngala mbeembu lui porte, en guise d’ultime avertissement un nteta “panier” rempli d’excrément… Lui signifiant par là qu’il est désormais perçu comme étant aussi inutile et incommodant que des déjections dont on doit se débarrasser sans autre forme de procès. Ceci constituant manifestement le symbole de sa disgrâce vis-à-vis du peuple, lequel a pris une décision sans appel et irrévocable de le démettre de ses fonctions.

De ce qui précède, on peut comprendre qu’après l’avènement de la seconde dynastie, le Maloango n’était plus au-dessus des lois de l’État et tous les pouvoirs n’était guère concentré entre ses mains. La mission qui lui était assignée visait essentiellement le bien et gestion responsable de l’État, en d’autres termes on dira que son action devait être orientée dans le sens de l’intérêt général et surtout d’œuvrer pour le bien-être de son peuple.

Il convient de souligner, qu’en plein Moyen Âge, et avec une longueur d’avance sur les occidentaux qui attendront le siècle des lumières, les Kongo du Loango dessinaient ici les contours d’un pouvoir par le peuple et pour le peuple. Le fuundu tchibokuta – la voix du peuple – joue cependant sans complaisance son rôle de contre-pouvoir. Une monarchie monolithique avec tout ce qu’elle implique d’arbitraire et d’absolutisme venait ainsi d’être remise à caution. Le pouvoir, le vrai, devenait fondamentalement l’émanation du souverain primaire. En limitant ainsi les pouvoirs du monarque on bridait ipso facto toute velléité autocratique pernicieuse à l’encontre du peuple. Un changement dynastique porté par une déferlante libertaire, sinon démocratique. Le monarque se trouvait ainsi devant l’impossibilité constitutionnelle de conserver le pouvoir envers et contre tout, moins encore envers et contre la démocratie naissante. C’est assez insolite et révolutionnaire quand on réalise que l’époque considérée correspond à la période médiévale en Europe, où des sociétés ployaient encore sous l’emprise des monarchies absolues.

Lors de la vacance du pouvoir consécutive à la mort du roi ou à sa destitution, l’interrègne – pouvant durer plusieurs années – est assuré par le Mamboma Tchiloangu. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, il est chargé d’identifier les différentes lignes de force s’affrontant pour imposer leur “candidat” à la succession, la dynamisation de l’ensemble des influences potentielles succeptibles de déterminer le choix du souverain. Ce choix, dans lequel n’interfère guère le Mamboma Tchiloangu, est en effet l’exclusivité du fuundu tchibokuta (assemblée des 27 clans kongo). Dans la préparation et le déroulement de cette consultation réside la mise en marche du mécanisme des institutions dans la course au pouvoir. Comme on peut le constater, la souveraineté et l’autorité réelles sont incarnées par le peuple qui en délègue à ses représentants au fuundu tchibokuta.

Les fumu des 27 clans primordiaux ne doivent légalement tenir compte dans leurs délibérations que de la volonté de l’opinion publique, laquelle est aussi exprimée par les devins et prêtres les plus puissants. L’avis du Tchitomi tchi Bunzi, intervient en dernier ressort pour entériner le choix effectué par le fuundu tchibokuta, représentant légal du souverain primaire, c’est-à-dire le peuple. Il est de notoriété publique que la voix du peuple est par excellence la voix de Dieu. Et le fait pour le peuple de faire avaliser le choix du nouveau souverain auprès du principal prêtre de Bunzi, divinité suprême, ne peut que nous conforter dans la conviction selon laquelle le pouvoir au Loango, en dépit de son caractère démocratique, était d’essence théocratique. C’est à ce propos que Annie Merlet écrit : “Cette société est entièrement sous l’emprise du sacré qui légitime le pouvoir et commande chaque geste de l’existence.” (16)

En somme, dès l’époque médiévale le royaume de Loango s’illustre comme un État hiérarchisé et structuré. Après le règne d’une monarchie absolutiste incarnée par la dynastie originelle des Buvandji, on assistera à l’érection d’une monarchie parlementaire. L’action de l’exécutif faisant ainsi l’objet d’un contrôle de la part de l’assemblée des 27 clans kongo. En tout état de cause, il sied de poser que le Loango est rentré dans la modernité depuis le Moyen-Âge, et ce, avant même le contact avec la civilisation occidentale. Comme pour abonder dans le même sens avec Doulaye Konaté : “La modernité en tant que ‘changement historique’ n’est pas l’apanage d’une société, et l’Afrique a connu au cours de sa longue histoire de nombreuses expériences de modernisation. Les différentes traites, notamment la traite atlantique, puis la colonisation ont durablement marqué de leur impact la relation des africains à la modernité, d’autant que ces événements traumatiques ont considérablement grevé son capital humain, extraverti son économie et limité l’initiative.” (17)

Le peuple de Loango a développé une civilisation à la structure politique et sociétale très élaborée. Ce qui, de toute évidence, est loin de cadrer avec les mythes impérialistes consistant à présenter l’Afrique noire comme “le pays de l’enfance qui au delà du jour de l’histoire consciente est enveloppé dans la couleur noire de la nuit” (Hegel). Le Négro-africain est lui-même taxé de “primitif”, de “barbare” etc. Comment faire violence à un peuple en le traitant de primitif à la “pensée pré-logique” (Levi-Strauss) là où toutes les preuves d’une société structurée et organisée étaient établies? Est-il juste et judicieux de mesurer la civilisation à la seule aune du degré technologique, donc matériel, atteint par un peuple? Soit les colons européens n’avaient rien compris aux réalités des peuples qu’ils abordaient, soit par mauvaise foi ils ont décrété de manière consciente et délibérée que les peuples négro-africains n’étaient pas civilisés ; et ce pour, à la fois, justifier et conduire sans encombre leur fameuse “mission civilisatrice” aux conséquences dramatiques sur les peuples colonisés.

En effet, la présence des Européens au royaume de Loango aura eu pour conséquence de saper les fondements de l’État. L’action conjuguée de l’esclavage, la traite négrière et la colonisation précipiteront le Loango dans une décadence inéluctable. L’influence de l’État allait s’amenuisant au fur et à mesure que les colons s’affirmaient à mettre le royaume en coupe réglée. La volonté de puissance et de domination des colons était telle qu’ils finiront par décréter un leitmotiv qui paraissait d’évidence : la civilisation était celle de l’homme occidental et blanc, les Africains vivaient “au cœur des ténèbres” (J. Conrad) matériellement, religieusement et mentalement. Il fallait donc les sauver, les civiliser, les coloniser en un mot, pour accomplir le “devoir colonial” ou du moins “le fardeau de l’homme blanc” apportant la lumière au continent noir… Telle est la vision manichéenne du monde, prônée par les occidentaux, et dont une partie de l’humanité ainsi que des civilisations en feront dramatiquement les frais.

Tout ceci n’est qu’un leurre grotesque, car pour imposer la suprématie de la race blanche, la prétendue “mission civilisatrice” s’acharnera à détruire les acquis culturels des peuples colonisés. Tout récemment encore, dans son fameux discours de Dakar, Nicolas Sarkozy le président français, s’était illustré par la mythomanie et le mépris à l’endroit de L’Afrique et des peuples africains en déclarant que : “Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est assez entré dans l’histoire.” On peut relever le caractère anachronique d’un propos qui, par ailleurs, ne reflète guère la réalité. Ici c’est tout un continent qui est injustement stigmatisé du fait soi-disant d’échapper à la raison, à la création, à la créativité, à l’invention et au progrès.

Bien évidemment, toutes ces contre-vérités ne participent que de la pérennisation des poncifs éculés hérités de l’ethnologie coloniale. On comprendra dès lors qu’il est question d’une tendance somme toute suprémaciste et eurocentriste, caractérisant ipso facto une certaine imposture. Est-il encore besoin de démonter que l’Afrique est le berceau de l’humanité et que dès l’aube des temps le continent noir a été le phare ayant éclairé le reste de l’humanité? Alors, au regard des propos du chef de l’État français, on ne sait s’il convient de saluer le cynisme ou le chef-d’œuvre d’aberration et condescendance à l’égard des Négro-africains.

Il sied cependant de poser que la France, pétrie d’une culture impérialiste séculaire et tributaire de son passé colonial, est l’expression des réminiscences coloniales qui consistent à maintenir les ex-pays colonisés à sa remorque. Le dessein inavoué consiste en la perpétuation d’une ignoble et machiavélique logique : la négation éhontée des siècles d’histoire et l’infantilisation de l’homme noir. C’est dans cette perspective que s’inscrit le discours du président français.

L’action coloniale s’avéra d’autant plus pernicieuse qu’elle affecta profondément non seulement les valeurs morales, les us et coutumes du peuple de Loango, mais aussi les institutions politiques de l’État. C’est ainsi que, par exemple, faisant fi de l’ordre constitutionnel établi par les ancêtres des 27 clans primordiaux kongo, l’administration coloniale installa au pouvoir, des années plus tôt avant l’indépendance, l’un des Maloango. Celui-ci ayant pour mission particulière d’œuvrer pour la préservation des intérêts de la puissance coloniale. On est ici en face d’un cas de figure, somme toute symptomatique, de la négation de la liberté, de la souveraineté d’un peuple et du droit de celui-ci à disposer de lui-même.

En somme, le peuple de Loango peut légitimement se prévaloir de son appartenance à ce grand peuple kongo au passé glorieux. Il est cependant illusoire pour un peuple de chercher à se construire sur la base des valeurs d’importation. C’est pourquoi il est impératif pour chaque peuple de s’imprégner de son histoire afin d’y trouver des repères en vue, non seulement, de la prise en charge de son destin, mais surtout de se projeter dans le futur. Comme nous le rappelle encore Cicéron : “Il y a très peu de choses qui soient plus importantes pour n’importe quel peuple que son histoire, sa culture, ses traditions et sa langue; car, sans une telle connaissance, l’on demeure nu et sans défense devant le monde.”

René MAVOUNGOU PAMBOU

Ethnolinguiste de formation

(Birmingham, Royaume Uni)

1- BALANDIER (G.), La vie quotidienne au royaume de Loango, du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1992.

2- Nom du fleuve Congo dans les langues du Loango.

3- SORET (M.), Histoire du Congo-Brazzaville, Paris, Berger-Levrault, 1978, p. 75.

4- Ethnie kongo attestant de singulières affinités avec les Vili.

5- HAGENBUCHER-SACRIPANTI (F.), Les fondements spirituels du pouvoir au royaume de Loango, O.R.S.T.O.M, Paris, 1973, p. 23.

6- MERLET (A.), Autour du royaume de Loango XIVè-XIXè siècles, Libreville-Paris, SEPIA, 1991.

7- Op. cit. p. 24-28.

8- Actuelle baie de Loango où se trouvent les plages de Tchibeta et Matombi. Pendant la période de l’esclavage et de la traite négrière, ce fut l’un des plus importants comptoirs négriers du littoral atlantique. Des milliers de bois d’ébène furent ainsi ponctionnés d’Afrique à partir de ce site.

9- Du point de vue cosmogonique, maman Ngunu est considérée comme la génitrice des Batéké.

10- Cette devise a déjà fait l’objet d’une analyse, par mes soins. Se référer à l’article : “Quand on passe les Vili pour l’ethnie référentielle du Loango,” in www.royaumeloango.org.

11- civa tchi Lwangu (sing.) “dispensateur du pouvoir” : c’est un notable représentant du peuple au fuundu tchibokuta et qui est investi du pouvoir d’élire le roi.

12- Le tchibila tchi Bunzi est le symbole des liens sacrés qui unissent le Kongo, le Ngoyo, le Kakongo et le Loango.

13- Encore appelé Kamangu le roi thaumaturge. De son vivant, il était tenu en très haute estime par son peuple. Dans la mémoire collective on garde de lui le souvenir d’un grand roi, tant il a frappé les esprits par sa sagesse et ses hauts faits.

14- La filiation matrilinéaire, en vigueur chez les Kongo du Loango, veut que le neveu hérite de l’oncle maternel. Aussi dans le cadre du pouvoir politique, il est reconnu à des neveux le droit de se poser comme prétendants au trône, et ce, parfois en compétition avec leurs oncles.

15- kubeenza lwaandu “fendre la natte de papyrus” est l’expression désignant une scission au sein d’un clan ou des individus d’une même n’suungu “filiation utérine”. Cette solution extrême, n’intervenant qu’en de rares cas de crise profonde et grave, n’est envisagée qu’après moult tentatives de réconciliation, lors de grandes palabres s’étant révélées infructueuses.

16- Merlet (A), Op. cit. P50.

17- DOULAYE KONATE, “Le paradigme de l’opposition tradition/modernité comme modèle d’analyse des réalités africaines”, in Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, (sous la direction de Adame Ba Konaré), Paris, La Découverte, 2008, p.108.