Interrogation légitime des Loango de la Diaspora !

Une table ronde a été organisée par certain.e.s Loango ce vendredi 14 janvier 2022 pour marquer leur interrogation légitime sur la longueur du temps quant à la nomination du futur Roi au Loango.

Chères concitoyennes et chers concitoyens,

Je vous adresse mes fraternelles salutations et je vous présente mes excuses pour n’avoir pas honoré de ma présence le tout dernier entretien du vendredi, sur le forum Ndokwaanu ku Fuundu, en raison d’un voyage que j’ai effectué au cours du week-end, lequel entretien portait sur une question relative à l’élection du futur roi de notre royaume, le Loango.

J’ai écouté l’élément audio et visionné la vidéo, réalisés à cette occasion, avec un grand intérêt. C’est ainsi que je me propose d’apporter, un tant soit peu, ma modeste contribution. En effet, des préoccupations et inquiétudes légitimes y ont été émises. Mais une préoccupante et récurrente question est revenue sur le fait du retard observé à propos de lusoolu “élection” du Ngaanga MvuumbaDevin qui couve” et son lubyalulu “sacre” ou “intronisation”, sachant que cela fait plus d’un an qu’il y a vacance du pouvoir au Loango du moins depuis que le trône de Bwaali est vacant, des suites de la disparition de sa majesté Moë Makosso IV, en date du 23 décembre 2020 à Rabat au Maroc.

Il sied ici et maintenant de souligner un fait non moins important, à savoir : nos illustres ancêtres avaient établi des règles institutionnelles formelles régissant l’élection et l’intronisation solennelle du Ngaanga Mvuumba. En fait, depuis l’avènement de la deuxième dynastie au Moyen âge, le peuple de Loango avait opté pour l’instauration d’une monarchie élective ; c’est-à-dire un type de monarchie constitutionnelle où le monarque accède au trône par le biais d’une élection en bonne et due forme. Comme vous pouvez le constater nos illustres ancêtres ont expérimenté la démocratie avant les occidentaux, car à la même époque ces derniers sombraient encore sous l’emprise maléfique des monarchies absolues. Il convient d’affirmer, sans coup férir, que dans le domaine bien précis de la démocratie, les occidentaux n’ont rien appris au peuple kongo de Loango qui avait déjà une longueur d’avance sur eux. C’est ainsi qu’il est aisé de comprendre le fait que les natifs de l’ethnie vili puissent, à raison, se comparer aux leucodermes en déclarant : N’vili tshibaamba “Le vili est un blanc.”

Cette comparaison, quoique équivoque, n’est guère anodine, hazardeuse encore moins usurpée, car outre la démocratie, le Loango est par excellence une terre de paix, d’unité, d’hospitalité et d’accueil. On ne dira jamais assez que le peuple de Loango, foncièrement pacifique et pacifiste, a toujours vécu en paix avec lui-même ainsi qu’avec ses voisins. Le fait pour ce peuple, ayant cultivé d’aussi nobles valeurs humanistes, de se comparer aux blancs avec la kyrielle des torts que ceux-ci ont causé à l’humanité, relève d’une erreur d’appréciation et de jugement quand ce n’est un manque de lucidité. C’est pourquoi, il sied d’affirmer que sous le rapport de l’humanisme, les kongo de Loango dépassent de loin les leucodermes. Pour ce faire, il est de notoriété publique que les kongo ne sont jamais sortis de leur continent pour aller s’accaparer des terres lointaines et en y sémant la désolation et en décimant des peuples autochtones, en pillant des ressources naturelles comme c’est le cas pour les leucodermes. La période coloniale, de triste mémoire, en témoigne car sous une prétendue “mission civilisatrice”, les Noirs ont subi un déchainement de barbarie en règle de la part des colons.

A cet effet, René Maran n’a pas de mots assez forts pour qualifier la férocité, la cruauté et la barbarie blanches, c’est ainsi qu’on peut lire dans Batouala des phrases sans équivoque telles : « Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d’innocents (…) Tu bâtis ton royaume sur des cadavres » ou encore « la large vie coloniale, si l’on pouvait savoir de quelle quotidienne bassesse elle est faite, on en parlerait moins, on n’en parlerait plus. Elle avilit peu à peu », dénonçant ainsi la déchéance, la lâcheté et la cruauté des colons. Mais bien qu’ayant mis sur pied une société bien organisée, structurée et expérimentée de nobles valeurs d’humanisme, cela n’avait pas empéché les colons, d’avoir l’outrecuidance sinon le tort de coller injustement aux autochtones des étiquettes dévalorisantes de “bons sauvages”, barbares primitifs, peuple à la pensée prélogique et j’en passe.

Cette comparaison inadéquate et déplorable aux envahisseurs, prédateurs et usupateurs que sont les Blancs s’explique manifestement par le fait que le peuple de Loango a la conscience civique et historique d’avoir des nobles valeurs sinon des moeurs policées au-dessus de celles des occidentaux. On ne dira jamais assez que ce peuple a mis sur pied un admirable système institutionnel et politique consistant à élire le monarque et si nécessaire, en cas de dérive autoritaire et absolutiste, de le démettre pacifiquement. La preuve probante de cette affirmation réside dans le fait que pour les mêmes mobiles, la première dynastie des Buvandji, fondateurs du royaume, avait été radicalement évincée et tenue définitivement à l’écart de la gestion des affaires du royaume. Comme on peut le constater, le Congo a de nobles repères historiques quant à la gestion de la Cité ; hélas, la glorieuse histoire du pays n’est guère prise en compte encore moins enseignée.

En outre, il est normalement établi un interrègne d’un an minimum pouvant s’étendre sur des années au cas où les circonstances l’imposent, et ce, après le décès ou la destitution du souverain. Et c’est normalement au Mamboma Tshiloangu “premier ministre” du royaume qu’incombe la charge d’assurer la régence pendant l’interrègne et l’organisation de l’élection ainsi que l’intronisation du nouveau roi. Mais hélas, pour le cas présent, on déplore également le décès, en date du 26 août 2021 du Mamboma Tshiloangu, Justin Koumba, l’ancien président de l’Assemblée nationale du Congo-Brazzaville. Ce personnage a, entre autres, le rôle de la protection et de défense du pouvoir, donc du trône. C’est pourquoi, sur le plan mystique, il doit absolument détenir le n’tshyaama “arc en ciel” dont l’incarnation matérielle ou animale est le mboma “python” qui étend sa protection, tel un puissant et inébranlable bouclier, sur tout ce qu’il entoure.

Comme on peut le comprendre, ces décès successifs du Maloango et du Mamboma Tshiloangu ont, en conséquence, induit une vacance totale du pouvoir. C’est ainsi qu’il revient donc exceptionnellement aux dignitaires du royaume, dans leur ensemble de prendre les choses en main en vue du respect sinon de l’application stricto sensu des normes institutionnelles royales relatives à la perpétuation, la pérennisation de la couronne du Loango.

En outre, le futur roi doit impérativement subir une initiation pré-sacrale en bonne et due forme. En fait, après son élection un périple initiatique doit le conduire dans les sept provinces du royaume à la rencontre des bitomi principaux “prêtres officiant” dans les différents sanctuaires de ces provinces.

Le clou de ce périple pré-sacral est l’ultime étape de Banana, non loin de Moanda au Kongo Central en RD Congo, où se trouve le sanctuaire de Bunzi, la divinité suprême du panthéon réligieux des kongo nord occidentaux ; ceux-ci étant repartis dans trois Etats que sont le Ngoyo (RD Congo), le Kakongo (Cabinda) et le Loango (Congo-Brazzaville et Gabon). Il convient de signaler, au passage, que cette initiation est assortie d’interdits ou tabous dont la violation par le futur monarque a pour conséquence la remise en cause de son sacre. Parmi ces tabous figure celui de l’abstinence sexuelle absolue. Bien évidemment, on ne foule pas impunément le sol d’un sanctuaire en état de souillure sexuelle. On ne va pas non plus au contact du sacré que sont les puissances chtoniennes ou forces numineuses, solliciter leur bénédiction, leur protection et leur pouvoir après une souillure charnelle avérée.

C’est à cet effet qu’il est prévu l’accompagnement du futur roi par une jeune fille vierge durant tout le périple et cette dernière a d’ailleurs l’obligation de partager la couche du futur roi, en vue de tester sa force de caractère, sa probité morale, sa patience, son esprit de sacrifice, son aptitude à se passer des choses matérielles et sa capacité à réprimer ses pulsions charnelles ainsi que sa résilience devant les épreuves de la vie. En fait, au cours de cette initiation, il doit surmonter différentes épreuves, afin de prouver qu’il a des épaules assez larges pour porter du moins supporter la lourde charge, autrement dit le nteta bivadaangu wuka ntwekila miboonduLe panier lourdement chargé de canards qui lui lâchent des fientes.” Qu’il faille cependant souligner qu’au Loango on élit un Ngaanga Mvuumba qui ne revêt formellement le titre de Maloango “souverain” ou “roi” qu’à partir du moment de son intronisation.

Je saisis cependant l’occasion d’apporter à la connaissance de tous que le processus institutionnel d’élection, instauré depuis la deuxième dynastie, celle issue de N’nombo Sinda, est en cours. Normalement, ce sont les fumu si, chefs des 27 clans primordiaux repartis sur les 7 provinces, constituant le fuundu tshibokuta “Instance Collégiale de Concertation” (ICC), jouissant des prérogatives d’un collège arbitral à l’endroit des clans princiers Kondi et Nkata. Naturellement, les chefs des 27 clans primordiaux, en tant que arbitre électoral, ont la responsabilité d’élire le nouveau souverain. Il convient cependant de noter que l’actuelle élection engage 8 princes dans la compétion. Bien évidemment, comme la tradition l’exige, tous les candidats qui se sont prononcés pour cette élection appartiennent essentiellement aux deux clans princiers Kondi et Nkata, ceux-ci ayant l’exclusivité et le privilège de prétendre au trône de Bwaali.

Pour ce faire, les auditions de ces différents candidats, par les dignitaires de Loango, en prélude à l’élection, ont lieu au cours de ce mois de janvier. Et le nom du futur roi élu de Loango ne sera rendu public qu’au cours de la première quinzaine du mois de février. Et tout de suite après il devra observer l’initiation dont le succès aux épreuves prévues à cet effet sera couronné par une solennelle intronisation rituelle et institutionnelle au Tshinganga Mvuumba “palais royal” de Bwaali.

En somme, à la lueur de ce qui précède, on retiendra qu’au royaume de Loango il y est expérimenté, depuis la période médiévale, une monarchie parlémentaire, celle-ci se fondant sur une démocratie représentative.

René Mavoungou PambouBowamona Keb’Nitu
N’tu mbali wuta Lwangu
“La tête pensante qui déclame le Loango”
Ethnolinguiste de formation
Linguiste-bantuiste et chercheur en civilisation Kongo
Promoteur de la vilitude